La Russie taxe les voitures chinoises pour défendre son industrie locale

La Russie impose des taxes aux voitures chinoises, freinant une explosion des importations qui affaiblit l’industrie automobile locale.

En 2024, la Russie a importé plus d’un million de véhicules chinois, représentant 63 % du marché automobile russe, contre 29 % pour les marques locales. Ce changement brutal résulte des sanctions occidentales qui ont poussé Moscou à se tourner vers Pékin. Mais le gouvernement russe cherche désormais à ralentir cette dépendance en augmentant les taxes de recyclage, équivalentes à des droits de douane, jusqu’à 6 900 € par voiture. Cette décision vise à stimuler la production locale et à protéger l’industrie russe face à l’invasion de modèles chinois à bas coût. Ce retournement de stratégie pourrait à terme fragiliser les exportateurs chinois, notamment Chery, dont 28 % des ventes mondiales sont réalisées en Russie.

La Chine occupe désormais 63 % du marché automobile russe

L’invasion de véhicules chinois en Russie s’est accélérée dès 2022. Selon la China Passenger Car Association (CPCA), plus de 1 million de voitures chinoises ont été exportées vers la Russie en 2024, soit une multiplication par 7 par rapport à 2022. Ces exportations représentent 30 % des exportations chinoises de voitures thermiques, un volume massif qui explique le déséquilibre du marché local russe.

Les marques chinoises ont atteint 63 % de parts de marché, reléguant les constructeurs russes à seulement 29 %, selon les dernières données du CPCA. La cause principale est l’effondrement des importations de marques occidentales (Volkswagen, Renault, Toyota, etc.), suspendues depuis les sanctions liées à la guerre en Ukraine.

L’industrie automobile russe est dominée par AvtoVAZ (Lada), GAZ et UAZ, mais leur capacité à répondre à la demande est limitée. Les modèles chinois, bon marché, disponibles rapidement, et souvent plus équipés, ont remplacé l’offre occidentale disparue.

L’effet d’éviction est direct : la production russe chute, l’emploi industriel souffre, et les chaînes d’assemblage sont sous tension. Selon l’Association of European Businesses (AEB), le marché automobile russe a chuté de 59 % entre 2021 et 2023, en grande partie compensé par les importations chinoises.

La Russie taxe les voitures chinoises pour défendre son industrie locale

Les taxes de recyclage russes : un outil de protectionnisme déguisé

Face à cette perte de contrôle, le gouvernement russe a durci en janvier 2025 les “taxes de recyclage”, passant de 287 000 roubles à 667 000 roubles, soit de 3 200 € à 7 500 € par voiture, selon les taux de change. Cette taxe fonctionne comme un droit de douane indirect, visant à rendre les importations chinoises moins compétitives.

Le ministère de l’Industrie prévoit une hausse annuelle de 10 à 20 % de cette taxe jusqu’en 2030, ce qui pourrait porter le coût à près de 12 000 € par véhicule en fin de période. Cette mesure est directement inspirée des politiques appliquées par l’Union européenne contre les voitures chinoises, notamment en matière d’anti-dumping.

Ce mécanisme vise également à forcer les constructeurs chinois à localiser leur production en Russie. En imposant un surcoût à l’importation, Moscou crée une incitation pour implanter des usines sur son territoire. Une stratégie comparable a déjà été menée par l’Inde ou le Brésil, qui exigent des seuils de production locale pour autoriser la commercialisation.

Cette taxation ne fait cependant pas l’unanimité. Certains exportateurs chinois contournent le système, en vendant véhicule par véhicule directement aux consommateurs russes, évitant les formalités douanières. Cela génère une baisse de productivité logistique pour les exportateurs, mais permet de préserver les marges malgré les nouvelles contraintes.

Le rôle central de Suifenhe dans le commerce sino-russe

Le port terrestre de Suifenhe, dans la province chinoise du Heilongjiang, est devenu une plateforme majeure pour l’exportation de voitures vers la Russie. En 2024, les exportations depuis cette ville de 100 000 habitants ont atteint 1,9 milliard de dollars (environ 1,74 milliard d’euros), contre 378 millions d’euros en 2020.

La ville a concentré une grande partie des flux logistiques transfrontaliers, bénéficiant d’infrastructures ferroviaires, d’un accès direct aux réseaux russes, et d’accords douaniers simplifiés. Suifenhe est aujourd’hui le principal centre d’exportation vers la Russie, hors hydrocarbures.

Le marché est structuré autour de petits commerçants chinois, qui expédient des lots de véhicules d’occasion ou neufs, souvent thermiques. Le gouvernement chinois a en parallèle facilité les exportations de véhicules d’occasion, avec des réformes douanières et une politique incitative.

Le programme “cash for clunkers” chinois a aussi accéléré cette dynamique, en poussant les conducteurs à revendre leurs anciens modèles thermiques pour acheter des véhicules neufs, souvent électriques, sur le marché intérieur. Le surplus de véhicules anciens alimente le marché russe.

Le marché secondaire a explosé : selon les autorités locales, les exportations de voitures d’occasion depuis Suifenhe ont augmenté de 612 % en 2024. Ce canal devient essentiel pour écouler les invendus thermiques, alors que les ventes de véhicules électriques progressent rapidement en Chine.

La Russie taxe les voitures chinoises pour défendre son industrie locale

Les conséquences pour l’industrie chinoise : dépendance et fragilités

Cette expansion massive vers la Russie crée aussi une dépendance risquée pour les constructeurs chinois. Chery, premier exportateur vers la Russie, a écoulé 430 000 véhicules sur les 9 premiers mois de 2024, soit 28 % de ses ventes mondiales.

Mais cette stratégie devient fragile : Chery prévoit déjà une réduction progressive de ses volumes en Russie, selon ses documents d’introduction en bourse à Hong Kong. L’entreprise anticipe des risques liés aux sanctions secondaires, en cas d’intensification des tensions géopolitiques.

Les marques chinoises ne peuvent ignorer les risques de réalignement diplomatique ou de stabilisation du marché russe. En cas de retour des constructeurs occidentaux, leur part de marché serait menacée. D’autant plus que le niveau d’acceptation des normes techniques chinoises reste incertain : trois constructeurs de camions chinois ont été récemment interdits en Russie pour non-conformité.

À moyen terme, le modèle de développement export-chine vers Russie est instable, car trop dépendant du contexte géopolitique. Il expose aussi les constructeurs à des marges faibles, une pression réglementaire croissante, et une difficulté à maintenir la croissance hors Chine.

LES PLUS BELLES VOITURES est une magazine automobile indépendant.