Chine: Les marques occidentales veulent reconquérir le marché
Constructeurs étrangers en Chine : nouvelles alliances locales, plateformes partagées et reprise ciblée sur les véhicules électriques abordables.
Depuis 2020, les marques occidentales ont vu leur part de marché en Chine chuter de 64 % à 31 %. Face à l’essor rapide des constructeurs chinois comme BYD et Geely, Volkswagen, Toyota, Mercedes-Benz, BMW et Audi adoptent une stratégie « in China for China ». Ils développent désormais leurs véhicules électriques avec des partenaires locaux comme Huawei, Alibaba, FAW ou SAIC. Ces alliances permettent d’intégrer plus rapidement les attentes du marché chinois : logiciels embarqués, autonomie élevée, prix compétitifs. Plusieurs modèles exposés à l’Auto Shanghai 2025 symbolisent ce virage stratégique. Ces choix techniques sont cruciaux : la Chine représente près de 45 % des ventes mondiales de véhicules électriques en 2024. La relocalisation du développement produit et l’intégration des chaînes de valeur locales sont devenues incontournables pour éviter une marginalisation définitive.

Les marques étrangères perdent du terrain face aux constructeurs chinois
En 2020, les constructeurs occidentaux détenaient 64 % de part de marché en Chine. En 2024, cette part est tombée à 31 %, selon les dernières données d’Automobility Ltd et de Statista. Cette baisse drastique s’explique principalement par la montée en puissance des véhicules électriques (VE) et hybrides rechargeables, qui représentent près de 45 % des ventes de voitures neuves en Chine cette année. Ce segment est largement dominé par des marques locales comme BYD (près de 2,6 millions de véhicules vendus en 2024, soit +43 % sur un an) et Geely, qui ont respectivement dépassé Volkswagen, longtemps leader.
Le marché chinois est devenu le terrain de jeu prioritaire pour la mobilité électrique. Il s’agit du plus grand marché automobile du monde avec plus de 24 millions de véhicules vendus en 2023, dont 7,7 millions sont des VE, selon l’Agence internationale de l’énergie (IEA). En comparaison, les ventes de VE en Europe ont stagné autour de 3,2 millions, ce qui fait de la Chine un levier stratégique majeur.
Les consommateurs chinois, notamment les jeunes urbains, recherchent des véhicules à prix abordables (entre 12 000 € et 22 000 €), avec une connectivité forte, une autonomie de 500 km minimum, et un design distinctif. Les marques chinoises répondent à ces critères avec une réactivité plus élevée que leurs homologues européens ou américains. C’est dans ce contexte que les groupes étrangers sont forcés de réagir.
La stratégie “in China for China” : un tournant industriel majeur
Les groupes automobiles occidentaux ont dû revoir leur approche. Le modèle traditionnel basé sur l’exportation de véhicules conçus à l’étranger ne répond plus aux attentes du marché chinois. La nouvelle stratégie adoptée s’appuie sur des centres de R&D implantés localement, des équipes de développement produits chinoises, et des alliances technologiques avec des géants numériques locaux comme Huawei, Alibaba ou Tencent.
Mercedes-Benz, par exemple, lancera en Chine sa nouvelle CLA électrique en 2025. Le véhicule intègre un système d’exploitation développé par l’équipe locale R&D de Pékin, avec une promesse d’autonomie de plus de 700 km et des capacités de conduite autonome de niveau 2+. La recharge rapide atteindra jusqu’à 250 kW, permettant un passage de 10 à 80 % de batterie en 20 minutes.
BMW, de son côté, prépare la production locale de la Neue Klasse, une nouvelle génération de VE conçue avec Huawei et Alibaba. Ces véhicules intégreront des plateformes numériques propriétaires, avec une gestion avancée de la batterie, une interface vocale optimisée pour le mandarin, et une personnalisation basée sur l’intelligence artificielle.
Ce choix de développement intégré est crucial. Il permet de réduire les délais de mise sur le marché de plus de 30 % et d’améliorer l’adéquation produit-marché. Il s’agit également d’une réponse stratégique à l’incapacité des marques occidentales à adapter leur cadence d’innovation aux cycles courts imposés par les groupes chinois.
L’exemple Toyota : décentralisation et adaptation profonde
Toyota, qui reste plus résilient que ses concurrents (1,8 million de véhicules vendus en 2024, en recul de seulement 8 % par rapport à 2021), réoriente radicalement sa gouvernance en Chine. L’entreprise confie désormais la responsabilité du développement produit à son bureau régional chinois, rompant avec une tradition de centralisation japonaise.
Le constructeur s’appuie désormais pleinement sur ses deux coentreprises : FAW Toyota et GAC Toyota. Le modèle bZ3X, un SUV électrique vendu autour de 15 000 € (environ 115 000 CNY), est basé sur une plateforme de GAC et partage plus de 40 % de ses composants avec le modèle Aion V. Cette intégration permet de réduire les coûts de production, d’accélérer la mise sur le marché et de coller aux préférences locales.
Toyota construira par ailleurs une usine dédiée aux modèles Lexus électriques à Shanghai, ce qui en fait l’un des rares sites 100 % étrangers en Chine. Cette usine produira les batteries et véhicules électriques pour Lexus, afin de répondre à une clientèle premium toujours attachée à la qualité perçue japonaise, mais désormais très attentive aux spécificités chinoises (infodivertissement natif, technologie vocale locale, etc.).
Audi, Mazda, Volkswagen : coopération technologique et plateformes partagées
Audi présente à l’Auto Shanghai 2025 une nouvelle gamme conçue pour la Chine, avec 18 modèles exposés, dont un véhicule produit sans les anneaux Audi, destiné à la génération Z. Ce véhicule repose sur une plateforme co-développée avec SAIC, visant une production en masse et un positionnement tarifaire agressif.
Mazda développe également le modèle EZ-6, une berline électrique fondée sur la chaîne de traction électrique développée par Changan, son partenaire local. Ce véhicule illustre un changement de rôle : ce ne sont plus seulement les marques occidentales qui imposent leurs modèles, mais aussi les constructeurs chinois qui fournissent les technologies.
Enfin, Volkswagen — historiquement leader du marché — voit son statut ébranlé. Sa part de marché a été divisée par deux depuis 2020. Le groupe a réinvesti plus de 2,5 milliards d’euros dans sa coentreprise avec JAC Motors pour relancer sa gamme électrique. Le modèle phare ID.7 y sera produit avec un design adapté au goût chinois et une autonomie revue à la hausse (plus de 620 km WLTP).
Ces coopérations traduisent un renversement stratégique : les marques étrangères adoptent les logiques industrielles chinoises, tant sur les logiciels que sur les composants, ce qui modifie profondément les relations de dépendance dans l’industrie automobile mondiale.

Conséquences industrielles et géopolitiques d’un basculement de marché
La réorganisation des marques étrangères en Chine n’est pas sans implications plus larges. D’un point de vue industriel, cela signifie une relocalisation de la valeur ajoutée : R&D, production de batteries, logiciels embarqués — autant de fonctions stratégiques désormais implantées localement.
Ce mouvement affecte également l’équilibre géopolitique du secteur automobile. En contexte de tensions sino-américaines croissantes, les groupes occidentaux cherchent à conserver un accès à la Chine sans être perçus comme dépendants de capitaux étrangers. D’où la montée des joint-ventures hybrides, où les marques étrangères acceptent un rôle plus effacé.
À moyen terme, cette tendance pourrait également affaiblir la base industrielle européenne, puisque certains développements R&D et prototypes de véhicules ne seront plus conçus en Allemagne, au Japon ou en France, mais directement à Shanghai, Shenzhen ou Changsha.
Enfin, cela modifie la compétition mondiale sur le VE : les plateformes développées en Chine pourraient ensuite être exportées, inversant ainsi le sens traditionnel du transfert technologique. On voit déjà GAC ou Changan proposer des technologies à l’export, et ce mouvement ne fait que commencer.
LES PLUS BELLES VOITURES, votre magazine voiture en toute indépendance.