Assurance défaut en hausse : l’automobile européenne sous tension
Les investisseurs se détournent des obligations du secteur automobile européen, entraînant une hausse significative des coûts d’assurance contre le défaut de paiement.
Les récentes mesures tarifaires imposées par le président américain Donald Trump, notamment une taxe de 25 % sur les importations de véhicules, ont provoqué une réaction en chaîne dans l’industrie automobile européenne. Les investisseurs, inquiets des répercussions financières, se détournent des obligations des constructeurs, entraînant une augmentation notable des coûts d’assurance contre le défaut de paiement. Des entreprises comme Aston Martin et Volkswagen sont particulièrement touchées, avec des baisses record des prix des obligations et une hausse des primes des credit default swaps (CDS). Cette situation souligne la vulnérabilité du secteur face aux tensions commerciales internationales et met en lumière les défis financiers auxquels sont confrontés les constructeurs automobiles européens.
Impact des tarifs douaniers sur l’industrie automobile européenne
L’imposition par les États-Unis de tarifs douaniers de 25 % sur les importations de véhicules a provoqué une onde de choc dans l’industrie automobile européenne. Cette mesure protectionniste vise à protéger l’industrie automobile américaine, mais elle a des conséquences directes sur les constructeurs européens qui exportent vers les États-Unis. En 2023, l’Union européenne a exporté pour environ 54 milliards de dollars de véhicules vers les États-Unis, représentant une part significative des revenus des constructeurs européens. Ces tarifs augmentent le coût des véhicules européens sur le marché américain, réduisant leur compétitivité et affectant potentiellement les volumes de vente.

Réaction des investisseurs et augmentation des coûts d’assurance
Face à ces incertitudes, les investisseurs réévaluent les risques associés aux obligations des constructeurs automobiles européens. Cette réévaluation se traduit par une augmentation des coûts des credit default swaps (CDS), instruments financiers permettant de s’assurer contre le risque de défaut de paiement. Par exemple, le coût d’assurance contre le défaut de paiement des obligations de Volkswagen sur cinq ans a grimpé de 30 points de base pour atteindre 154 points de base, un niveau inédit depuis la pandémie de Covid-19. Cette hausse reflète les craintes accrues des investisseurs quant à la capacité des constructeurs à honorer leurs dettes dans un contexte de tensions commerciales.
Cas spécifique d’Aston Martin
Aston Martin, le constructeur britannique de voitures de luxe, est particulièrement vulnérable aux tarifs imposés par les États-Unis. Ne disposant pas de sites de production sur le sol américain, l’entreprise exporte l’intégralité de ses véhicules destinés au marché américain depuis le Royaume-Uni. Le marché américain représente environ 30 % des ventes annuelles d’Aston Martin. L’application des tarifs de 25 % pourrait entraîner une diminution significative de la marge bénéficiaire de l’entreprise. Pour faire face à cette situation, Aston Martin a annoncé son intention de lever plus de 125 millions de livres sterling, notamment par la vente de sa participation minoritaire dans l’écurie de Formule 1 et par un investissement supplémentaire de son président, Lawrence Stroll.
Conséquences pour Volkswagen
Volkswagen, l’un des plus grands constructeurs automobiles européens, est également affecté par les tarifs douaniers. Bien que l’entreprise dispose de sites de production aux États-Unis, une partie de ses véhicules, notamment les marques de luxe Audi et Porsche, sont importés d’Europe, les rendant sujets aux nouveaux tarifs. De plus, Volkswagen a une part de marché d’environ 4 % aux États-Unis, ce qui rend le marché américain crucial pour sa stratégie de croissance. La hausse des coûts d’assurance contre le défaut de paiement pour Volkswagen reflète les inquiétudes des investisseurs quant à l’impact potentiel de ces tarifs sur la santé financière de l’entreprise.
Impact sur les fournisseurs de pièces automobiles
Les fournisseurs de pièces détachées, tels que le français Forvia et l’allemand ZF Friedrichshafen, ressentent également les effets des tarifs douaniers. Ces entreprises opèrent avec des marges bénéficiaires plus faibles que les constructeurs automobiles et sont donc moins à même d’absorber des coûts supplémentaires. Forvia, par exemple, a estimé que les tarifs pourraient augmenter ses coûts annuels de 200 à 450 millions d’euros. Pour atténuer cet impact, l’entreprise envisage de négocier des augmentations de prix avec ses clients et d’accroître sa capacité de production aux États-Unis.
Stratégies d’adaptation des constructeurs et fournisseurs
Face à ces défis, les constructeurs et fournisseurs européens explorent diverses stratégies pour atténuer l’impact des tarifs douaniers. Parmi ces stratégies, on note la possibilité de déplacer une partie de la production vers les États-Unis afin d’éviter les tarifs à l’importation. Cependant, une telle relocalisation nécessite des investissements substantiels et du temps pour être mise en œuvre. D’autres envisagent de répercuter une partie des coûts supplémentaires sur les consommateurs en augmentant les prix des véhicules. Toutefois, cette approche comporte le risque de réduire la demande en raison de prix plus élevés. Enfin, certains fournisseurs cherchent à négocier avec les constructeurs pour partager le fardeau financier imposé par les nouveaux tarifs.
Perspectives futures pour l’industrie automobile européenne
L’industrie automobile européenne est à un carrefour critique. Les tensions commerciales actuelles, combinées à la transition vers les véhicules électriques et à la concurrence accrue de nouveaux acteurs, notamment chinois, posent des défis majeurs. Les entreprises doivent non seulement naviguer dans un environnement commercial incertain, mais aussi investir massivement dans de nouvelles technologies pour rester compétitives. La capacité des constructeurs et des fournisseurs à s’adapter rapidement et efficacement déterminera leur résilience face à ces pressions. Selon l’ACEA (Association des constructeurs européens d’automobiles), l’industrie automobile représente plus de 13 millions d’emplois en Europe, soit environ 6 % de l’emploi total. Toute contraction durable du secteur aurait donc des répercussions économiques significatives, non seulement pour les fabricants, mais également pour l’ensemble de la chaîne d’approvisionnement et les économies nationales.
Conséquences sur les marchés financiers et la perception du risque
L’un des premiers signes d’alerte sur les marchés financiers réside dans l’évolution des spreads de crédit et le comportement des obligations d’entreprises dans le secteur automobile. Le cas d’Aston Martin est révélateur : l’un de ses emprunts obligataires, émis en 2023, a chuté à 82 pence pour une livre de valeur faciale, soit une baisse de plus de 18 % en quelques jours. Ce phénomène traduit une forte perte de confiance des investisseurs dans la capacité de l’entreprise à honorer ses engagements, surtout dans un contexte où sa dette dépasse 1,16 milliard de livres sterling, avec des taux d’intérêt à deux chiffres.
Sur les marchés des produits dérivés, les CDS (credit default swaps) sur Volkswagen et Stellantis témoignent d’une hausse notable de la perception du risque. Pour Stellantis, par exemple, la prime d’assurance contre le défaut de paiement à cinq ans est passée de 170 à 210 points de base en quelques jours. Dans le secteur financier, une telle augmentation, supérieure à 23 %, reflète une aversion croissante au risque et une réévaluation générale de la solidité des acteurs du secteur.
À terme, cette défiance pourrait restreindre l’accès au crédit pour les constructeurs et fournisseurs, ou en augmenter le coût, ce qui limiterait leurs capacités d’investissement dans la transition énergétique, la R&D, ou encore leur présence commerciale sur de nouveaux marchés.
Effets sur les échanges commerciaux entre l’Europe et les États-Unis
La mesure tarifaire de 25 % engagée par Washington a pour effet immédiat de perturber la fluidité des échanges transatlantiques. Selon Eurostat, en 2022, les exportations de véhicules de l’UE vers les États-Unis ont représenté près de 9 % de la valeur totale des exportations automobiles de l’Union, ce qui en fait l’un des principaux marchés extérieurs pour les constructeurs européens.
Des marques comme BMW, Mercedes-Benz, Audi ou encore Porsche dépendent fortement de ce débouché pour rentabiliser leurs gammes de luxe, très demandées aux États-Unis. Mais une taxe de 25 % appliquée sur ces véhicules augmente mécaniquement le prix de vente aux consommateurs américains, qui pourraient se tourner vers des marques locales ou asiatiques implantées sur le territoire américain.
La décision de Jaguar Land Rover de suspendre temporairement ses expéditions vers les États-Unis témoigne de cette incertitude. En attendant de clarifier sa stratégie, l’entreprise préfère geler ses livraisons plutôt que de supporter une perte financière immédiate due aux droits de douane.
Cette situation est susceptible d’aggraver les tensions commerciales entre l’UE et les États-Unis, dans un contexte déjà marqué par les désaccords sur les subventions aux véhicules électriques ou les normes environnementales.

Risques structurels et dépendance des chaînes d’approvisionnement
Un autre aspect critique révélé par cette crise est la forte dépendance de l’industrie automobile européenne à des chaînes d’approvisionnement mondialisées. Les tarifs douaniers ne touchent pas seulement les véhicules finis, mais aussi les composants et pièces détachées, souvent acheminés depuis différents pays.
Les fournisseurs comme ZF Friedrichshafen ou Forvia, qui approvisionnent des constructeurs sur plusieurs continents, doivent composer avec des flux logistiques complexes. L’annonce américaine selon laquelle une liste élargie de composants automobiles sera soumise aux 25 % de droits à partir du 3 mai alourdit encore cette pression.
Forvia, qui fournit Tesla, Stellantis ou encore BYD, a indiqué que la totalité de la filière pourrait voir sa rentabilité fortement impactée. Selon ses propres estimations, certains contrats devront être renégociés ou redirigés, ce qui risque d’alourdir les frais fixes ou de causer des ruptures temporaires de chaîne de production.
Ces perturbations logistiques s’ajoutent aux difficultés déjà existantes liées aux tensions avec la Chine, aux prix élevés des matières premières, ou encore à la transition vers les véhicules électriques, dont les composants critiques (batteries, semi-conducteurs) sont en majorité produits hors d’Europe.
Une fragilité structurelle exposée par la guerre commerciale
La flambée des coûts d’assurance contre les défauts de paiement dans l’industrie automobile européenne est le reflet direct d’un secteur mis sous pression par des facteurs exogènes et structurels. Les tarifs américains agissent ici comme un amplificateur de fragilités préexistantes, en forçant les constructeurs à adapter leur stratégie industrielle dans l’urgence, au détriment de leur capacité d’investissement à long terme.
L’industrie automobile européenne se retrouve dans un dilemme : soit elle relocalise une partie de sa production aux États-Unis, avec les coûts d’investissement associés, soit elle accepte une réduction de ses marges dans un marché stratégique. Dans les deux cas, la pression sur la rentabilité et la compétitivité est réelle.
À moyen terme, ces tensions pourraient accélérer une reconfiguration des chaînes de valeur et favoriser l’émergence de stratégies industrielles plus régionales, moins dépendantes de la mondialisation des échanges. Mais cette transformation nécessitera du temps, des ressources, et un soutien politique cohérent au niveau européen.
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